La scolarité obligatoire de 6 à 16 ans dans nos pays occidentaux poursuit un objectif de formation et de socialisation. Selon le nouveau texte français étudié plus bas, cette scolarité donne aux élèves « la culture commune, fondée sur les connaissances et compétences indispensables, qui leur permettra de s’épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de s’insérer dans la société où ils vivront, comme de participer, comme citoyens, à son évolution ».
Aujourd’hui la France, selon PISA et autres études internationales, est le pays où la condition sociale prédit le plus la réussite ou l’échec scolaire. Ses réformes orientent notre éducation vers une plus grande considération du modèle anglo-saxon.
Au Royaume-Uni, la nouvelle politique de l‘éducation mise en œuvre cette rentrée 2014 fait réagir acteurs et experts de l’éducation. Examinons ces deux dynamiques.
1/ L’éducation scolaire en France se repose sur un « socle commun de connaissances, de compétences et de culture »
La loi d’orientation de 2013 définit le socle commun de connaissances comme » le principe organisateur de l’enseignement obligatoire dont l’acquisition doit être garantie à tous ».
En sonarticle 13, il pose un principe : «La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité.
Le socle doit permettre la poursuite d’études, la construction d’un avenir personnel et professionnel et préparer à l’exercice de la citoyenneté ».
La nouvelle version de 22 pages que le Conseil supérieur des programmes (CSP) a révélée le 10 juin 2014 décline des objectifs de maitrise de compétences dans 5 domaines de formation dans lesquels les disciplines scolaires classiques vont trouver place. Ce document constitue les fondations de la nouvelle politique d’éducation, de l’école primaire à la fin du collège.
Ces principes généraux nous rapprochent du modèle anglo-saxon
« Le socle commun de compétence doit conduire les élèves à maîtriser les langages fondamentaux qui permettront de concevoir une représentation ordonnée et rationnelle du monde. Cette culture scolaire accompagne et favorise le développement physique, cognitif et sensible; elle permet d’agir, de conquérir et d’exercer ainsi progressivement sa liberté et son statut de citoyen responsable ».
Les évaluations et disciplines au nombre de 5 doivent s’articuler entre elles autour du socle. Ainsi, « Chaque domaine de connaissances et de compétences requiert la contribution de toutes les disciplines et démarches éducatives, chaque discipline apporte sa contribution à tous les domaines… »
Pour chacun des cinq domaines concernés, le socle définit les objectifs visés, les connaissances et compétences correspondantes, et les principaux champs d’activité dans lesquels se construisent ces connaissances et compétences« .
Illustration 1) Le niveau requis « au moins suffisant »
Le refus de la sacro-sainte moyenne qui caractérise l’école française est posée désormais dans ce texte avec le choix de définir un niveau « au moins suffisant » dans chaque domaine.
Le principe d’une évaluation collégiale est retenu afin que l’évaluation reste pensée et maitrisée. Un troisième principe viserait l’évaluation positive. (Nos précédents articles traitent de cette notion).
Enfin, le socle envisage une évaluation finale qui met fin au dualisme socle-brevet. « Rechercher une procédure simple et cohérente associant une évaluation progressive des acquis des élèves à chaque fin de cycle et une validation terminale du socle commun ».
Illustration 2) Le niveau requis « gradué »
Le texte prévoit également -comme au Royaume-Uni– que l’évaluation sera graduée. Elle devra « permettre, pour chaque type de connaissances et compétences évalué, d’identifier plusieurs niveaux de réussite. Le CSP fera des propositions en ce sens dans le cadre des programmes détaillés. S’en est fini des notions d’ »acquis-non acquis » du socle actuel.
Illustration 3) Les 5 domaines de compétences intègrent les compétences non-cognitives
Ces 5 domaines de compétences sont :
ü les langages pour penser et communiquer,
ü les méthodes et outils pour apprendre,
ü la formation de la personne et du citoyen,
ü l’observation et la compréhension du monde et
ü les représentations du monde et l’activité humaine.
On constate une première rupture avec le passé : ces 5 domaines ne correspondent pas aux disciplines scolaires traditionnelles. Le « socle » évoque non seulement les connaissances, pierre angulaire de l’instruction, mais aussi les compétences, notion plus floue qui tend à permettre aux élèves de construire également leurs propres savoirs. Cette question intéressera plus bas la discussion concernant l’école britannique. Le nouveau socle est transdisciplinaire. Il est construit autour de l’idée de culture commune. Et c’est celle-ci qui va commander la rédaction des programmes disciplinaires.
– Le premier domaine de compétence nomé « les langages pour penser et communiquer » inclut l’expression française, les langues étrangères mais aussi les langages scientifiques (numération, plans, cartes) et l’expression artistique.
-Les mathématiques sont désormais Intégrées dans « l’observation et la compréhension du monde« . Avec le socle, l’enfant devient une sorte de chercheur en herbe : « Il a compris que les mathématiques se nourrissent des questions posées par les autres domaines de connaissances et les nourrissent en retour. »
-« les méthodes et outils pour apprendre » est certainement un des éléments les plus novateur du socle. Les compétences documentaires et numériques entrent au cœur du socle. Il s’agit de « Maîtriser les techniques usuelles de l’information et de la documentation » et de « maitriser les techniques et les règles des outils numériques ». L’élève doit aussi savoir travailler en équipe. Posture novatrice calquée sur nos voisins.
–Un autre domaine regroupe sous l’appellation « formation de la personne et du citoyen, le développement de la confiance en soi et le respect des autres« , c’est-à-dire des acquisitions morales, des règles de droit, le sens de l’engagement et de l’initiative. « Ce domaine de compétences et de connaissances engage par excellence la totalité des enseignements portés par les différentes disciplines », écrit le socle.
Ce domaine renvoie aussi à un nouvel enseignement que Vincent Peillon souhaitait initialement impulser : « L’enseignement moral et civique, mis en place tout au long de la scolarité, fournit une occasion privilégiée pour développer et mettre en perspective ces compétences ». Celui-ci devrait être plus actif que l’instruction civique des programmes posé en 2008.
Concrètement, malgré l’accueil critique des syndicats pour le socle, le Ministère de l’Education annonçait un calendrier d’application. Une consultation a été organisée à l’automne 2014. Des décrets donneront force de loi au texte final du socle fin 2014. Son entrée en vigueur devrait avoir lieu avec les programmes de l’école et du collège déclinant les objectifs du socle, à la rentrée 2016.
2/ Martin Robinson, enseignant chercheur anglais nourrit le débat sur la finalité de l’éducation au UK.
En Angleterre, le programme national « progressiste » stipulait que les écoles devaient créer « des individus confiants» pouvant apprendre de manière «indépendante».
Le programme qui le remplace en septembre 2014 indique que les professeurs doivent familiariser les élèves avec le « meilleur de ce qui a été pensé et dit » à travers l’étude des «connaissances essentielles dont ils ont besoin pour être des citoyens éduqués». Dans cette réforme Michael Gove qui en a été l’initiateur précisait que « l’éducation vise à permettre aux gens d’être les auteurs de l’histoire de leur propre vie« .
Mais Martin Robinson , auteur de l’article du Times Education Supplement de s’interroger :
« Que se passe-t-il si les enfants deviennent les auteurs de leur propre vie à l’école et qu’ils arrivent à la conclusion que ce qu’ils reçoivent comme enseignement n’est pas le mieux pour eux ? Que se passe-t-il s’ils décident qu’il serait préférable de considérer en priorité ce qu’ils ont à dire ?
Le gouvernement veut-il vraiment les écoles pour créer des penseurs indépendants qui sont susceptibles de remettre en question tout ce qu’elle détient sacré ? ».
Cette idée, poursuit l’auteur, « de l’apprenant autonome avec un programme personnalisé qui répond entièrement à leurs propres besoins subjective, trouve son origine dans la fameuse citation de Thatcher Grand: « Il est rien de tel que la société. ».
Il s’agit de progressisme libertaire prise jusqu’à sa conclusion logique : tout penseur est indépendant de tout le monde, l’individu a la domination sur le groupe et tous les enfants auteurs de leur propre histoire ».
En février dernier, la BBC diffusait un programme controversé sur une université occidentale formant la future élite de la Corée du Nord. « L’état d’esprit d’une génération de lavage de cerveau est-elle accessible par le haut? » a demandé le journaliste Chris Rogers.
La Corée du Nord reconnaît la nécessité d’éduquer un petit nombre de ses citoyens – les enfants de l’élite – et ces jeunes sont encouragés à penser de façon indépendante, en dépit des problèmes que cela peut engendrer.
A travers la frontière démilitarisée en Corée du Sud, l’entreprise Samsung envoie ses employés visiter des écoles au Royaume-Uni, pour savoir comment celles-ci éduquent les enfants à être créatifs. Dans 50 ans, s’inquiète Mr Robinson de manière ironique, verra-t-on émerger une Corée créative dépassant le Royaume-Uni comme un foyer de l’indépendance de l’esprit ?…
En conclusion
Aujourd’hui devant nos lacunes françaises pointées par les études internationales, nous reconnaissons enfin qu’il n’est pas que les connaissances fondamentales dans l’éducation, à savoir lire, écrire, compter, matières littéraires et scientifiques.
Le socle français en préparation prend acte de cette évolution. Il intègre désormais, avec ces 5 domaines de compétences reformulés, les éléments du succès de l’école anglo-saxon depuis des décennies, précisément les connaissances transversales ou compétences non cognitives. Ces compétences développent l’estime de soi, la capacité de se mesurer dans des discussions avec d’autres personnalités, d’autres idées développées pour conclure et prendre une position qu’il s’agira de défendre avec conviction. Ces compétences sociales comme la capacité à coopérer avec autrui à s’adapter devant une question ouverte, à une situation nouvelle permettra demain le vivre ensemble. Enfin, ce sont ces compétences non cognitives ou transversales, si difficiles à évaluer qui vont conditionner la future insertion sociale et professionnelle des apprenants. En cela, le socle constitue une belle avancée à soutenir pleinement.
Coté anglais, Martin Robinson s’interroge et nous renvoie ainsi à nos propres questions fondamentales : quel est l’objectif de l’éducation ? « Est-ce de transmettre parmi les traditions et les connaissances celles qui ont résistées à l’épreuve du temps, dans le respect des institutions et l’autorité, afin de permettre aux enfants d’emprunter les chemins bien usés ?Ou bien l’éducation a-t-elle vocation à libérer les individus, encourager les enfants à penser par eux-mêmes, à contester, à questionner le statu quo et enfin à chercher des chemins d’accès qui leur est propre ? ».
Et vous ? Qu’en pensez-vous ?
Sabine Cros, 17 novembre 2014.
(*) Martin Robinson est professeur depuis 20 ans dans les écoles publiques à Londres. Il travaille sur l’amélioration des performances des élèves en se basant sur la dialectique et la rhétorique.
SOURCES :
•Projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture, 8 juin 2014
•Martin Robinson , « Tradition need not be the enemy of progress”, TES magazine, 2 May, 2014
•Bernard HUGONNIER, « Le déclin de l’école républicaine », Les Editions du net
•François Jarraud, www.cafepedagogique.net
•Martin Robinson , “Trivium 21c: preparing young people for the future with lessons from the past”, published by Crown House Publishing.