Des jeux non genrés pour les enfants : un décloisonnement encore timide

Lawrence Kohlberg, psychologue américain, a défini trois étapes dans la construction identitaire chez l’enfant : l’identité de genre quand les enfants âgés de 2 ans environ identifient le sexe d’un individu en se basant sur des éléments socioculturels, comme la coiffure, l’habillement… ; la stabilité de genre lorsque vers 3-4 ans les enfants intègrent que le sexe d’un individu est une donnée stable au fil du temps (les filles deviendront des femmes et les garçons des hommes) ; et enfin le troisième stade appelé la constance de genre vers 5-7 ans, quand les enfants comprennent que le sexe est une donnée immuable à travers le temps et indépendante des situations.

Partant de cette segmentation, on comprend le rôle primordial des professionnels de l’éducation et des parents dans la construction de cette identité, de l’éveil des enfants et de leur curiosité pour les jeux quel qu’ils soient.

Les jouets comme outil d’apprentissage

Comme le souligne le Comité des Droits de l’enfant dans son Observation générale n°1 de 2001 sur les buts de l’éducation, « l’éducation dépasse de loin les limites de l’enseignement scolaire formel et englobe toute la série d’expériences de vie et des processus d’apprentissage qui permettent aux enfants, individuellement et collectivement, de développer leur propre personnalité, leurs talents et leurs capacités et de vivre une vie pleine et satisfaisante au sein de la société.L’objectif est de développer l’autonomie de l’enfant en stimulant ses compétences, ses capacités d’apprentissage et ses autres aptitudes, son sens de la dignité humaine, l’estime de soi et la confiance en soi ».

Objectif ambitieux qu’éduquer ses enfants…éducation qui passe dès la petite enfance par le jeu, qui tient une place primordiale dans la mobilisation des apprentissages.

En effet, en jouant, l’enfant mobilise son intelligence plastique.

Les livres et les jouets constituent des outils d’apprentissage qui accompagnent l’enfant dans toutes les dimensions de son développement : affective, physique et motrice, sociale et morale, cognitive et langagière (par exemple, les jeux de rôles et de poupées favorisent davantage le langage, alors que les jeux de blocs et de construction stimulent les habiletés spatiales).

Ils permettent de stimuler différentes fonctions cognitives, de favoriser l’engagement, la motivation, la curiosité et l’autonomie.

Ils favorisent le développement des compétences et les rapports aux autres car par le jeu, on se confronte à l’autre et à soi, on apprend la vie en groupe, on découvre les autres et son environnement.

En cela ce sont de formidables outils de socialisation et de coopération.

Pour cette raison, il est recommandé de proposer un environnement riche sans qu’il soit surchargé et de varier les types de jouets, cela afin de stimuler plusieurs aspects du développement de l’enfant, pour lui permettre de découvrir lui-même son identité et d’éveiller ses goûts afin qu’il choisisse ensuite ses préférences.

En laissant l’enfant choisir ses jouets, vous lui permettez d’être en contact avec plusieurs façons de voir le monde.

Vous comprenez aussi que limiter un enfant à un type de jouets en particulier aura donc une influence sur son développement.

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Les jouets genrés : un facteur social ?

Les enfants imitent ce qu’ils observent et reproduisent des éléments de la vie familiale et de la vie en société. Bien souvent aussi, ils évitent de se mettre en contradiction avec l’autre pour ne pas attirer le jugement.

Le choix des jouets que l’on offre, avec les diverses connotations qui peuvent y être associées auront donc un impact sur l’enfant.

A l’âge de 4 ans, les tout-petits explorent toutes les possibilités du jeu, et ne font bien souvent pas la distinction entre un jeu « de fille » et un jeu de « garçon ».

Une fille peut jouer au ballon et aux petites voitures, un garçon à la cuisine et au bébé.

C’est au moment de l’entrée à l’école que la différence dans le choix des jeux est plus marquée entre les deux sexes : les garçons jouent davantage avec les « jeux de garçons » et les filles, avec des « jeux de filles ».

C’est donc plus tard que l’enfant prend conscience des stéréotypes que la société lui propose et qui sont basés sur un ensemble de croyances et de jugements, souvent inconscients, partagés par un certain nombre d’individus au sujet des différences entre les filles et les garçons et des rôles qui leur sont dévolus.

Et les stéréotypes ont la dent dure !

L’univers des jeux de garçons et de filles sont parfois encore clairement séparés comme dans certains rayons de supermarchés ou magazines, dans la distinction des couleurs roses et bleues, dans le nombre de fonctionnalités entre un ordinateur rose et un rouge, dans la mise en scène d’enfants sur les photos.

S’opposent encore super héros et princesses qui véhiculent des images sexuées : la fille souvent associée à la douceur, la disponibilité, parfois même à une certaine soumission alors que l’univers des garçons est davantage associé au sport, à la force, au dépassement de soi.

On note aussi une tendance à davantage accepter qu’une fille agisse comme un garçon alors qu’on est moins tolérant à voir se développer un comportement plus féminin chez un garçon.
N’a-t- on pas déjà entendu des phrases du genre : « tu ne vas pas jouer à la poupée, c’est pour les filles » ou alors, « une trottinette rose, ne veux-tu pas plutôt la bleue ? ».
Ces réflexions, clairement énoncées ou insidieuses, orientent l’enfant dans son comportement et dans ses choix.

On peut par contre saluer depuis plusieurs années, l’apparition des poupées genrées, des héroïnes plus sportives et moins « nian-nian », des héros masculins avec des failles…cette tendance, sans tomber dans l’exagération ou l’extrême inverse, est une bonne nouvelle pour ces stéréotypes.

Proposer des jeux genrés aura donc une influence sur le comportement des enfants et pourra renforcer les inégalités entre les filles et les garçons comme limiter les aspirations et influencer les goûts et les champs d’intérêt des enfants.

A noter que les répercutions s’observent aussi sur la réussite scolaire : tant chez les filles que chez les garçons, plus l’adhésion aux stéréotypes est forte, moins leur performance scolaire sera bonne.

Il faut donc garder à l’esprit que nous avons un rôle très important dans l’éducation à travers notamment nos propositions de jeux et nos pratiques quotidiennes et qu’il en va de la vie de l’enfant et de la société en général de respecter la richesse des différences.

 

Marie Boutry-Peyron
Avenue des Écoles
www.avenuedesecoles.com

 

Sources :

Rapport d’information du Sénat – Délégation aux droits des femmes 2014-2015
Les livres et les jouets ont-ils un sexe ? Ministère de la famille et des aînés – 2013
Les lois naturelles de l’enfant – Céline Alvarez Les Arènes – 2016
La poupée de Timothée et le camion de Lison – Guide d’observation des comportements des professionnel-le s de la petite enfance envers les filles et les garçons – Le Roy, Véronique (2012)

 

Photo Unplash – Markus Spiske

 

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