La notion et la perception du temps a toujours fasciné. Poètes, acteurs, auteurs, peintres s’y intéressent et essayent depuis très longtemps de le faire vivre et de le représenter sous différentes formes.
Si l’on s’attache à lui donner une définition, le temps peut être défini comme un « milieu indéfini et homogène dans lequel se situent les êtres et les choses et qui est caractérisé par sa double nature, à la fois continuité et succession ».
On peut distinguer le temps physique, le temps objectif ou subjectif, le temps social et le temps psychologique. Mais sa notion reste bien souvent abstraite, vécue et perçue de manière différente d’un individu à l’autre, selon les cultures, les modes de vie, les âges, les moments de la vie, voir même de la journée. Aussi un enfant, un adolescent ou un adulte n’y accorderont pas la même valeur.
Le temps : organisation et structuration
Le psychologue suisse Jean Piaget distingue le temps vécu, perçu et conçu et étudie comment ces aspects apparaissent au cours du développement de l’enfant (PIAGET, Jean. Le développement de la notion de temps chez l’enfant. Presses Universitaires de France. Vendôme (France), 1946.).
De la naissance à 6 mois, il parle de temps vécu qui se caractérise par une succession d’attentes et de réponses aux besoins physiologiques de l’enfant.
Dès 6 à 8 mois, le temps commence à être perçu. L’enfant se construit des repères temporels au travers d’activités ritualisées et s’imprègne de leurs successions.
De 2 à 5 ans, le temps mémorisé permet à l’enfant de se construire des représentations mentales de ce qui est vécu. Cette étape est d’ailleurs liée à l’acquisition du langage. Le développement du vocabulaire relatif au temps chez l’enfant commence dès 3 ans environ : il emploie les temps du passé et des mots qui intègrent la notion du temps (comme demain, hier), même s’ils ne sont pas tout à fait compris encore.
À partir de 5 ans, l’enfant entre de plus en plus dans une période de décentration de soi ce qui correspond à la maturation d’un temps construit. L’enfant s’approprie le temps social et peut dorénavant se projeter dans l’avenir.
Enfin, dès l’âge de 8 ans, le temps commence à prendre son sens en dehors des êtres et des objets connus. L’enfant commence à s’appuyer sur des liens logiques et des déductions et peut apprendre à mesurer le temps et par exemple à lire l’heure.
Le jeune enfant n’a donc au début pas réellement conscience du temps, il a encore son propre temps qu’il vit et ressent.
La notion qu’il en a est intuitive et se limite à des impressions. D’un point de vue général, l’acquisition du concept de temps chez lui dépend de trois facteurs : sa maturation psychologique, son environnement, son éducation.
Pour lui, la construction de la notion de temps s’inscrit dans un processus d’adaptation au monde qui l’entoure et à une contrainte sociale, c’est une notion abstraite qui doit s’apprendre.
C’est surtout à l’école maternelle que commence cette structuration du temps. Celle-ci accompagne l’enfant dans sa démarche et lui donne des repères sécurisants. Elle institutionnalise cette notion du temps au travers de moyens divers et nombreux aidant ainsi l’enfant à passer d’un temps personnel à un temps social commun.
Le rôle de l’adulte consiste à instaurer petit à petit des « règles », des rythmes à l’enfant qui font pleinement partie de l’éducation contemporaine.
On lui apprend à se lever, s’habiller, aller à l’école, les heures de repas, de sieste et de coucher. On lui apprend aussi les jours, les années, les saisons. C’est là qu’il apprend la chronologie.
Ces apprentissages de la conscience du temps passent par de nombreux travaux au sein de la classe, comme par exemple :
Des expériences en science sur les êtres vivants : par l’observation d’éléments concrets propres à la croissance d’une plante.
Les rythmes avec le calendrier des semaines qui se répètent (dispositif du train de la semaine, anniversaires, etc.)
Les rituels en classe : ranger les affaires à des moments précis de la journée, demander la parole, répartir des tâches dans une journée ou une semaine…
Les apprentissages des mathématiques : étude des mesures du temps ou des rythmes en musique
Les contes comme vecteur dans l’acquisition d’un vocabulaire temporel pertinent.
Petit à petit, l’enfant prend donc conscience du temps, apprend à le structurer et à se l’approprier.
Ainsi, l’élève pourra explorer son passé (son histoire), verbaliser ce qu’il vit (prendre conscience des actions vécues) pour enfin se projeter dans l’avenir.
Là où l’enfant vit le plus souvent dans le présent, l’adolescent cherche à se situer et à trouver de nouveaux repères quand l’adulte a tendance à se projeter vers l’avenir ou à se retourner sur le passé.
David Le Breton, anthropologue, sociologue, professeur à l’Université de Strasbourg, membre de l’Institut universitaire de France et chercheur au laboratoire Dynamiques Européennes, auteur notamment de Marcher, éloge des chemins et de la lenteur (Métailié, 2012 – édition de poche) et Du silence (Métailié, 2015) disait ceci à propos de l’adolescence : « Ce qui me parait très caractéristique du temps adolescent c’est la désynchronisation, c’est à dire un refus des temporalités adultes et une volonté de vivre un temps à soi. Il y a une contradiction nette entre le temps des adolescents et celui des parents ».
Le temps des parents… un temps adulte qui inclut l’avenir, la projection de durée, et la responsabilité éducative. C’est bien pour cela que l’adolescence voudrait créer cette rupture avec ce temps adulte.
Comment replacer l’attente et la lenteur dans nos modes de vie : apprendre à prendre le temps
La lenteur et la jeunesse sont bien souvent antinomiques car quand on est jeune, on a souvent envie de multiplier les expériences et les rencontres, d’expérimenter tout, de découvrir… Cela va donc souvent avec la notion de rapidité. Mais notre société est elle aussi celle de la vitesse, de la course à la performance, de la consommation et de l’impatience.
Or, les spécialistes, pédiatres et pédopsychologues nous parlent de l’importance de l’attente et de l’ennui, et conseillent aux parents de ne pas combler systématiquement un vide chez leurs enfants, afin qu’ils retrouvent leurs ressources internes et se connectent à eux.
Ils nous appellent tout simplement à ralentir afin de s’ancrer davantage dans le présent et dans nos relations aux autres.
Étirer le temps consisterait à susciter plus de désir, à changer son rapport au réel.
Sylvie Vassalo, directrice du Salon du Livre et de la Presse jeunesse en Seine Saint-Denis à Montreuil fait l’éloge de la lenteur à travers la lecture, une des pistes à explorer :
« Ce temps partagé entre les parents et les enfants autour de la lecture est un refuge que la société peut nous pousser à oublier. L’enfant est à la fois avec le parent et en même temps dans sa propre expérience, il construit sa propre personnalité. »
Laisser libre court à la lecture, la marche, la rêverie, l’oisiveté, redonner sa place à la nature permettrait de se construire, de prendre de la distance, de se conc
entrer, de se sentir vivant… alors ralentissons un peu !
Marie Boutry-Peyron
Avenue des Écoles
Article écrit pour l’Echo Magazine – Mai 2020